Le son n’a pas toujours été synonyme d’image au cinéma et en audiovisuel (rien que le mot en lui-même en dit long) plus généralement. Il est d’autant plus intéressant d’analyser comment celui-ci est devenu au fil des décennies, une composante intrinsèque à la dramaturgie cinématographique : voix, doublage, sound design et bruitages, musique… Pour situer cela au XIXème siècle,
The Artist est l’exemple le plus probant. Le personnage incarné par Jean Dujardin, star du cinéma muet, va voir son métier, ses habitudes et sa façon de travailler entièrement bouleversés par l’arrivée du son, qu’il refuse d’abord avec véhémence. Mais la musique elle, existait bien avant le cinéma.
Historiquement, il est indéniable que les arts vivants comme le théâtre, le cirque ou encore la danse ont mêlé le spectacle visuel à la musique. Alors que Méliès montait encore les décors de ses films dans son studio de Montreuil, un certain Camille Saint-Saëns; compositeur d’opéra de renom, composait la musique pour le film
L’Assassinat du duc de Guise réalisé par André Calmettes en 1908.
Si la musique n’était alors pas enregistrée, il est cependant devenu fréquent qu’un orchestre ou un pianiste joue durant la projection.
Dans un article détaillant l’évolution des façons d’exploiter la musique dans le cinéma, le Ciné Club de Caen, dirigé par Jean-Luc Lacuve, cinéphile passionné, explique que « petit à petit, la musique d'abord utilisé pour surligner l'émotion dans les films sonores va dépasser son rôle d'illustration pour apporter une dimension supplémentaire chargée de sens. Elle devient un moyen de mise en scène qui participe au récit ».
En 1948, Max Steiner (ci-contre), un compositeur austro-américain, considéré comme l’un des premier grand compositeur de musiques de films - il a composé pour plus de 300 films entre 1929 et 1965, dont
Casablanca ou
Gone With the Wind (
Autant en emporte le vent) et a collaboré avec Humphrey Bogart, Fred Astaire ou encore John Ford, pour ne citer qu’eux -, obtient le premier Golden Globe de la meilleure musique de film pour
Life With Father (
Mon père et nous) de Michael Curtiz.
Contrairement à ses prédécesseurs, Bernard Hermann qui a composé entre autres les musiques de
King Kong,
Citizen Kane,
Vertigo,
La Mariée était en noir ou encore
Taxi Driver (oui, rien que ça…) participait également au montage avec Welles notamment, incorporant petit à petit l’idée que la musique n’était plus un élément “additionnel” mais bel et bien un nouveau moyen narratif et scénique. Suivront ensuite des noms comme Ennio Morricone, John Williams, Vangelis, Howard Shore, Hans Zimmer, Danny Elfman, James Horner, Joe Hisaishi, Alexandre Desplat, Alan Silvestri… Et je vais peut-être m’arrêter là, non ?
D’autres part, le développement de l’informatique et de l’électronique a permis à la musique de prendre une dimension nouvelle. La première musique composée électroniquement est attribuée à Lejaren Hiller, un compositeur américain qui en 1957 a programmé un ordinateur appelé ILLIAC I afin de composer une chanson appelée Illiac Suite. Il fonda par la suite un studio de composition expérimental à l’Université d’Illinois. Cependant, le premier ordinateur à jouer de la musique s’appelait CSIRAC, et fut créé par un Australien, Trevor Pearcey, en 1950. Il faudra malgré tout attendre les années 80 que l’informatique se développe véritablement, et les années 90 que les ordinateurs deviennent des outils plus répendus.
Au Comptoir du Son, c’est de l’outil Pro Tools édité par Avid dont Franck se sert après avoir au préalable composé au piano. Claviériste et guitariste, notre compositeur a des méthodes bien millimétrées. Dans une vidéo sur les coulisses de
D-Day Normandie 1944, disponible sur YouTube, Franck explique qu’il y a deux façons de travailler à la composition. La première, c’est la composition à l’image : le réalisateur a déjà un pré montage qu’il transmet au compositeur, la musique vient en suite s’ajouter à un matériaux déjà existant. Dans ce cas, Franck regarde les images, s’en imprègne pour en faire un “canevas”, un “fil rouge” qui ira avec la musique ; l’idée, c’est de pouvoir aller dans le même sens que le réalisateur. La seconde méthode, la plus fréquente pour Franck, c’est de faire ce qu’il appelle un “ping pong” avec le réalisateur. C’est très souvent le cas avec l’animation, la 3D et les effets spéciaux, où les images se fabriquent au fur et à mesure ; il en va de même pour les musiques. Ainsi, un échange se crée entre le réalisateur et le compositeur qui font avancer le projet petit à petit à force d’allers-retours de maquettes, d’essais et de discussions.
Quand je l’interroge sur la différence selon lui entre la musique enregistrée avec un orchestre ou des instrumentistes, et la MAO, Franck prend l’exemple de la photo argentique et de la photo numérique : aujourd’hui, il devient difficile de différencier les deux tant leur qualité a augmenté, cependant, là où les deux médiums vont différer, c’est dans l’utilisation artistique qui va être faite grâce à leurs techniques distinctes avec des résultats intrinseques au numérique ou à l’argentique ; il en va de même avec la musique enregistrée avec un orchestre et la MAO. En effet, certains sons ne peuvent pas être produits naturellement ou avec de véritables instruments, ainsi, la création nouvelle est tout à fait envisageable avec cet outil qui permet de servir une démarche artistique particulière. La MAO peut simplement servir de maquette, être un WIP (“work in progress”) qui permet d’avoir une idée du rendu final avant un enregistrement plus conséquent.
D-Day Normandie a été joué par le London Symphony Orchestra.
Une fois les musiques validées, les images et montages définitifs reçus, on peut passer au montage et au mixage en studio. Les musiques sont rajoutées au montage son, certains instruments sont mixés au gré des besoins.
De nouveaux enregistrements peuvent être effectués si un instrument est dissonant par rapport à l’ensemble par exemple. Enfin, des effets et du sound design (design sonore) peuvent être rajoutés pour une plus grande harmonie de tous les sons.